Rencontre sous les flocons

1994. Séverine, lycéenne de Terminale sait précisément ce qu'elle fera une fois son Bac en poche. Grande adepte de la langue de Goethe, c'est à Strasbourg qu'elle fera ses études d'allemand. Un jour d'automne, elle tombe par hasard sur l'offre d'une agence de voyage proposant un séjour dans un ravissant petit hôtel au coeur des montagnes autrichiennes pendant les vacances de Noël. Ses amies ne pouvant malheureusement pas l'accompagner, elle se rendra seule au voyage organisé. Au Tyrol, elle fera la rencontre d'un groupe d'Anglais sympathiques et surtout celle de Dragan, le serveur de l'hôtel qui rendra ses vacances inoubliables. Entre sorties nocturnes, paysages à couper le souffle, la ville de Mozart et l'atmosphère magique des marchés de Noël, ce séjour va remettre tous ses plans en question.

 

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Extrait n°1

 

Douai - Octobre 1994

 

À peine dix heures vingt. Aujourd’hui, j’ai l’impression que le cours ne finira jamais, me chuchota Magali en faisant mine d’être captivée par la Critique de la raison pure d’Emmanuel Kant abordée par le professeur de philosophie.

 

— C’est vrai que c’est long aujourd’hui, et puis alors ce temps de chien…, répondis-je en regardant à travers les grandes fenêtres de la salle de classe.

 

De la pluie et du vent, voilà ce à quoi nous avions droit depuis plusieurs jours. Du coin de l’œil, j’observai les mouvements de main discrets à ma droite. Magali écrivait un nouveau message sur la table en bois recouverte d’inscriptions et de symboles en tous genres.

 

— Qu’est-ce qu’elle écrit ? demanda Lætitia, ma voisine de gauche, en essayant de décrypter par-dessus moi ce que Magali venait d’inscrire.

 

Je lus la réponse, adressée à Olivier, un garçon de Terminale scientifique :

 

« Smells like teen spirit »

 

Magali en pinçait pour lui et profitait du fait qu’il était assis à sa place quand il avait cours dans cette salle de classe pour communiquer avec lui. Contrairement à elle, il ne paraissait pas savoir qui complétait ses messages, comme le prouvait la question « Qui es-tu ? » à laquelle elle n’avait pas répondu, préférant ajouter un nouveau de ses titres favoris. Depuis plusieurs semaines, ils avaient pris l’habitude de faire la liste, chacun leur tour, des chansons cultes dont ils raffolaient.

 

— Réponds-lui, murmurai-je.

 

Je relevai résolument la tête pour offrir un sourire gêné à Monsieur Sanchez qui venait de hausser le ton en regardant dans ma direction. Lorsqu’il se retourna pour écrire « Analytique transcendantale » au tableau, Magali s’agita sur sa chaise.

 

— Ah non, je ne peux pas lui écrire qui je suis, se rebiffa-t-elle.

 

Sa façon de ne pas oser se dévoiler m’agaçait un peu. Je décidai de prendre l’initiative pour faire avancer les choses. Cela faisait déjà des mois qu’elle nous attirait, Lætitia et moi, dans les moindres recoins du lycée d’où elle était sûre de pouvoir mater Olivier à son insu.

 

Nous étions trois complices inséparables et n’avions aucun secret l’une pour l’autre. Olivier, quant à lui, faisait également partie d’un « trio ». Le trio d’enfer, comme nous l’appelions. Il était toujours accompagné de deux de ses copains dont nous connaissions les prénoms : Nicolas et Christophe qui, nous le savions, occupaient la place de Lætitia et la mienne quand ils avaient anglais après notre cours de philo.

 

Comme Magali le faisait avec Olivier, il m’arrivait de correspondre anonymement avec Nicolas, ayant pris l’habitude de dessiner des petites caricatures à ma place, toujours signées « N.B ». Je m’amusais à les commenter à l’aide d’adjectifs ou de noms appropriés en fonction de ce qu’ils m’inspiraient. Sous la dernière en date, où l’on reconnaissait Edouard Balladur, j’avais inscrit « ordure », reprenant le slogan des manifestations lycéennes du printemps auxquelles j’avais participé contre le projet d’insertion professionnelle.

 

Déterminée à passer à l’action, j’ajoutai en dessous de mon commentaire « Rendez-vous à 12.45h ce midi devant l’entrée du bâtiment B. » Je précisai encore la date pour être sûre qu’il comprenne que je parlais de ce jour même.

 

Au retentissement de la sonnerie, je remarquai que Magali prenait tout son temps pour ranger ses affaires. Elle voulait être sûre de ne pas rater Olivier en sortant de la salle. Surtout bien lui laisser le temps d’arriver de l’autre bout du bâtiment. Elle connaissait son emploi du temps presque par cœur et savait dans quelles salles il avait cours.

 

En refermant mon sac à dos, j’échangeai un regard complice avec elle. Elle comprit tout de suite mon empressement. J’avais l’espoir de croiser Vincent dans le couloir. Lorsque je sortis, mon regard s’attarda un instant sur notre trio d’enfer en pleine discussion, attendant devant la porte ouverte. Nicolas, le plus grand des trois, titillait Olivier dont l’air anxieux ne m’échappa pas. J’entendis juste :

 

— Maintenant tu vas peut-être le savoir.

 

Mais déjà je me faufilai entre les autres élèves de leur classe pour me précipiter vers les escaliers. Au moment où je pensais justement que je ne le verrais plus, j’aperçus Vincent. Je ralentis le pas et dès lors, mon regard ne se détacha plus de lui. Il passa une main dans ses cheveux châtain et sourit à la plaisanterie d’un de ses camarades de classe.

 

Je me sentis littéralement fondre en observant ses yeux noisette espiègles et la commissure de ses lèvres. Il était en Première, et par conséquent un an plus jeune que moi, ce qui me valait régulièrement des taquineries de la part des copines, mais qu’importe. Il était si mignon que cela valait bien quelques moqueries.

 

Totalement absorbé par la blague de son compagnon, il ne me regarda même pas et j’entrai en soupirant en cours de maths.

 

 

 

Après le repas à la cantine et une accalmie météorologique bienvenue, Magali, Lætitia et moi étions assises sur notre banc attitré dans la cour du lycée. Celui à partir duquel nous avions une vue d’ensemble sur les entrées et sorties des différents bâtiments autant que sur la totalité de la cour de récréation. Celui sur lequel nous nous asseyions chaque jour.

 

J’étais confortablement installée et avais tout le loisir d’observer Vincent discuter avec d’autres garçons près de l’entrée du bâtiment A. Voyant que je ne détachais pas les yeux de lui, Lætitia me décocha un coup de coude en se moquant gentiment :

 

Eh ! Séverine, attention au détournement de mineur !

 

Cette fois, Magali ne rit pas à la plaisanterie. Elle était bien trop nerveuse à l’idée que j’irais, comme je l’avais annoncé, parler à Nicolas qui ne nous connaissait absolument pas. Sortie de mon état de rêverie, je regardai l’heure. Magali s’affola en voyant le trio d’enfer s’approcher de l’entrée du bâtiment B.

 

— Non, Séverine, dis-moi que tu ne vas pas y aller !

 

Sa voix était presque tremblante.

 

— Ben si, tu me connais. Si j’ai fixé un rencart, j’y vais.

 

Ma montre indiquait 12h43. Sans hésiter, je me levai et traversai la cour de récré, laissant les copines en plan. Je m’amusai en pensant à leur tête derrière moi. Surtout celle de Magali. Les garçons lançaient des regards nerveux autour d’eux jusqu’à ce qu’Olivier s’aperçoive que je me dirigeais droit vers eux en les fixant. Malgré ce que je voulais laisser paraître, j’étais assez nerveuse et me demandais si je n’avais pas encore une fois exagéré. Et s’ils se moquaient de moi ? Et s’ils m’ignoraient ?

 

Alors que j’étais à une dizaine de pas d’eux, ils me firent tous les trois face, l’air suspicieux. Arrivée à leur hauteur, je me forçai à prendre un air naturel.

 

— Salut, Nicolas, le rendez-vous c’était moi ! annonçai-je en le regardant droit dans les yeux.

 

Il me dévisagea comme si le ciel venait de lui tomber sur la tête. Allait-il enfin dire quelque chose, ce grand dadais dont le corps semblait avoir grandi trop vite par rapport à son visage encore enfantin ? Je me demandai si, subitement, il avait rougi à cause de ma présence ou de ma simple effronterie.

 

Ah ! C’était toi les petits commentaires sous ses caricatures ? Super !

 

Enfin un qui semblait prêt à fondre la glace. Christophe venait de prendre la parole.

 

— J’ai adoré le « Michael armonte ses prones1» pour Michael Jackson ! reprit-il en éclatant de rire.

 

Le rire étant contagieux, je me joignis aux deux autres qui se détendirent enfin et pouffèrent à leur tour. Je tenais cette expression, un peu vaseuse mais tellement appropriée, de mon père qui avait coutume de la sortir lorsqu’il voyait ou entendait le chanteur. Tout d’abord car « prone » rimait avec Jackson, mais aussi en raison du comportement du chanteur lors de ses clips à avoir tendance à se tenir l’entrejambe comme s’il voulait effectivement remonter ses bijoux de famille.

 

— Au fait, moi c’est Séverine, me présentai-je. Et à l'intention de Nicolas : J’adore tes caricatures.

 

Ils inclinèrent la tête et se nommèrent à leur tour.

 

— T’es en littéraire ? me demanda Olivier.

 

— Ouais, en TL2.

 

Alors qu’ils avaient un instant paru détendus après la blague se rapportant à Michael Jackson, un silence pesant s’installa. Enfin, Olivier posa la question qui lui brûlait les lèvres.

 

— Si tu es assise à la place de Nicolas, qui est assis à la mienne et partage mes goûts musicaux?

 

J’eus l’impression que ses grands yeux inquiets n’osaient pas m’affronter. Je me tournai vers les copines restées bien sagement sur notre banc. Quand elles remarquèrent que je regardais dans leur direction, elles tournèrent la tête en faisant mine d’avoir une discussion animée.

 

— Vous voyez les deux filles sur le banc en face ? À droite, c’est Magali, c’est elle qui est assise à ta place en philo, expliquai-je en regardant Olivier. À gauche, c’est Lætitia, assise à la tienne, Christophe, c’est ça ?

 

— Oui, comment tu le sais ? s’étonna ce dernier.

 

Il me dévisagea d’un air suspicieux.

 

— Je suis un peu espionne, ne t’inquiète pas !

 

En réalité, je n’étais pas si calme que je voulais bien le laisser paraître. Une fois les présentations faites, je ne savais plus trop quoi dire. Je jugeai en avoir assez fait pour ce jour et décidai de mettre un terme à la conversation. De plus, je devais me rendre dans la petite salle à côté du CDI pour mon cours particulier d’allemand.

 

— Je dois y aller, j’ai un cours à treize heures.

 

— OK, approuva Nicolas.

 

— C’était sympa de parler avec vous. Salut !

 

Ils me répondirent d’une seule voix. En retournant vers le banc, j’étais satisfaite de moi. Je ne l’avais pas encore atteint que Magali me mitraillait déjà de questions.

 

— Qu’est-ce que tu leur as dit ? Et eux, qu’est-ce qu’ils ont dit ?

 

Elle était rouge d’émotion, sans doute avait-elle peur que je n’aie dévoilé à Olivier qu’il l’intéressait. Je haussai les épaules.

 

— Pas grand-chose, on a parlé des caricatures de Nicolas, mes commentaires les ont bien fait marrer. Maintenant ils savent qui nous sommes.

 

— C’est tout ? intervint Lætitia.

 

— Ah, non ! Olivier voulait savoir qui était assis à sa place et avait les mêmes goûts musicaux que lui.

 

Comme je m’emparais de mon sac à dos, Magali secoua la tête et reprit :

 

Ah ! J’en reviens pas, Séverine, tu as osé !

 

— Çà va sonner, je dois y aller.

 

— Comment peut-on volontairement aller en cours d’allemand ? me taquina Lætitia.

 

— Je ne comprends pas non plus, renchérit Magali, mais notre Séverine et la langue de Goethe, c’est une histoire que je n’essaie plus de comprendre depuis longtemps.

 

— Ouais, ça ne s’explique pas, répliquai-je en riant et me dirigeant vers le bâtiment principal.

 

 

 

En ce début d’année de Terminale, je savais déjà précisément ce que je ferais une fois mon Bac en poche : j’irais en fac d’allemand à Strasbourg. Pourquoi Strasbourg ? Eh bien, car Lille ne me paraissait géographiquement pas idéal pour pouvoir rencontrer des Allemands et découvrir la culture du pays.

 

J’étais si motivée que j’avais prié mon professeur d’allemand de l’année précédente de me donner quelques cours supplémentaires afin de me préparer au maximum. À ma grande surprise, il avait accepté, et c’était avec un réel plaisir que je m’enfermais volontairement avec lui dans la petite pièce attenante au CDI pour étudier les règles de grammaire, mais aussi lire de la poésie, bavarder en allemand, voire faire le lien entre les différentes langues germaniques.

 

Monsieur Perrin était étonnamment savant en la matière, il lisait aussi bien l’allemand, l’anglais que le néerlandais et même un peu de suédois et de norvégien. Il me parlait également de Strasbourg où il avait vécu. J’attendais donc avec impatience ce rendez-vous hebdomadaire où j’approfondissais mes connaissances de la langue tout en bénéficiant d’un traitement privilégié, même si les copines me charriaient après chacune de ces séances, comme ce fut bien entendu le cas cette fois-ci lorsque je les rejoignis pour le cours d’histoire.

 

— Alors, ton cours particulier s’est bien passé ? m’asticota Magali pour qui les cours d’allemand représentaient une torture.

 

— Super, oui. On a travaillé sur le double infinitif.

 

— Oh non ! Aujourd’hui on a russe..., se lamenta Lætitia.

 

À vrai dire, j’aimais le russe aussi, plus que l’anglais en tout cas, mais le lundi, nous avions cette matière de seize à dix-huit heures et avec l’approche de l’hiver, la journée paraissait interminable. Je pensai encore aux trois-quarts d’heure de bus qui me feraient rentrer vers dix-neuf heures à la maison… Une très longue journée.